dimanche 23 octobre 2016

LA MODIFICATION de Michel BUTOR

LIVRE
Michel BUTOR est décédé fin août de cette année et France 5 lui  a consacré une émission où le chef de file du Nouveau Roman se révèle un être attachant,créatif,n'ayant pas hésité à renouveler les formes de son art.
J'ai donc voulu lire ce roman qui lui valut Le Prix Renaudot en 1957.
J'en sors enthousiaste avec la sensation d'avoir découvert,avec retard,une pépite littéraire.
Il y a quelque chose d'hypnotique,de joliment répétitif,d'obsessionnel dans ce récit,comme une mélopée,un ressassement interminable,mais pas désagréable,comme le mouvement des roues de ce train où le narrateur est monté un matin à Paris pour rejoindre Rome,moins de 24 heures plus tard.
Le procédé littéraire consistant à utiliser le pronom personnel de la 2ème p.du pluriel,vous,fonctionne à merveille,impliquant totalement le lecteur que nous sommes dans ce voyage."Vous" êtes réellement dans ce compartiment minutieusement décrit avec les autres voyageurs dont l'écrivain imagine les vies,soucis,destinations.Un peu comme Dostoievsky qui créait les personnages de ses romans en s'inspirant des passagers du train.
Ce récit est donc réaliste,à l'extrême.Aucun détail ne nous est épargné lors de ce voyage spatio-temporel.En effet,on navigue dans le temps à partir de cet espace clos,celui du compartiment de l'express Paris-Rome.Plusieurs temporalités sont à l'oeuvre.Il y a le temps réel,la durée du trajet de  +/- 21 heures,mais aussi le passé et le futur,car le puissant monologue nous entraîne dans les voyages antérieurs,celui où il rencontra Cécile qu'il rejoint aujourd'hui à Rome,en lui faisant la surprise de son arrivée.
S'il se remémore  les moments heureux,réussis du passé,il se projette aussi dans la joie du futur,de ce moment,par exemple où il expliquera à sa femme Henriette qu'il la quitte.Il a en effet trouvé le moyen de faire venir sa maîtresse "romaine" à Paris,en lui trouvant un travail.

Est-ce que tout va se passer comme dans ses projets,ses rêves?Cet avenir qu'il dessine peu à peu en imagination va-t-il tenir la route ou s'effondrer comme dans la cruche de lait de Perrette? Grande question...
Le titre "La modification" est choisi pour nous alerter,car insensiblement,vers la fin du trajet,surgit l'impossibilité de concrétiser les rêves,d'appliquer le programme échafaudé.
Tout s'écroule,la cruche de lait tombe.Adieu Cécile,adieu la surprise qu'il s'apprêtait à lui faire de sa venue à Rome,adieu l'installation de Cécile à Paris.Impossible,tout bascule,se désagrège comme au réveil d'un mauvais rêve,un cauchemar éveillé.
Il descendra du train et passera 3 jours seul à Rome sans la voir!!! 
Prise de conscience que cette femme,Cécile,idéalisée n'était que "le visage de Rome",que c'est la Ville qu'il aime,qui l'attire plus que l'être aimé.
Il écrira un livre,ce livre que précisément nous venons de lire,histoire de ce changement,de "cette modification" qui s'est opérée dans son esprit le temps du trajet Paris-Rome.

Ce roman est étonnant à plus d'un titre.Notons le style particulier qui alterne phrases courtes,sèches et phrases d'une extrême longueur,les références littéraires à Virgile,à la sibylle de Cûmes.C'est aussi un roman à forte densité psychologique.Considérations sur le couple,sur les conditions de sa viabilité,sur la crise.La lente mais inexorable désagrégation d'un amour ainsi que la fraîcheur des premiers instants de la rencontre amoureuse sont minutieusement restituées.
C'est aussi une merveilleuse promenade dans ROME à laquelle nous sommes conviés.Lieux privés(un hôtel,l'appartement de Cécile...)mais aussi les "Incontournables" de Rome,comme on dit.On marche dans les rues de Rome,on monte vers le Palatin,on traverse le Tibre,on s'arrête dans un restaurant de la Piazza Navona,on découvre un tableau d'un peintre inconnu Pietro Cavallini(p83)à Santa Cecilia du Trastevere....etc


"Vous à qui, par le truchement de ce roman, aura été passé le mot, parvenez
à ce qui sera votre livre (sans être nécessairement un livre) et se révélera
peut-être fort différent de ce que, primitivement, vous aurez cru chercher,
car pour vous l’itinéraire peut se modifier comme il s’est modifié pour le
personnage,qui a trouvé sa vérité bien ailleurs que là où le train le menait et a gagné la partie quand il semblait l'avoir irrémédiablement perdue,comme si le jeu dans lequel (par l'effet de quelque grâce ou par inadvertance) il s'était engagé avait été un jeu de qui-perd-gagne."

MICHEL LEIRIS à propos de LA MODOFICATION de Michel BUTOR.

3 commentaires:

  1. Bel article pour un grand ouvrage ! Merci, Nadine !

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  2. Merci Pascale pour ton appréciation.
    C'est vrai que je me suis donné de la peine pour rédiger une belle critique de ce roman qui m'a conquis!!!

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  3. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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